« … punissez mes péchés, n’importe laquelle de mes inconsciences, faites-moi subir votre courroux, le supplice de Tantale, n’importe quoi, mais, non, par pitié, ne m’obligez pas à assumer l’éducation d’un enfant … »

Comment aurait-il pu d’ailleurs ? Lui, qui, dans sa mélancolie et nonchalance quotidienne, n’assurait pas même son propre futur… C’est ce à quoi il pensait. Dans son esprit, il ne pouvait s’agir d’autre chose. Sinon, comment expliquer la soudaine nausée qui avait envahie Siobhan ? Oh, oui, qu’il avait été con ! Ce mot résonnait comme un rire diabolique dans son esprit torturé par la culpabilité. Il les revoyait se chevaucher avec amour et désir, sur le bureau de la salle de classe où elle enseignait, puis sur le divan de son salon, et ce, sans aucune précaution, sans aucune protection … Bon sang, mais que lui était-il passé par la tête ?! Combien de fois déjà s’était-il moqué des volontaires bénévoles qui leur faisaient cours sur la contraception chaque année ? Il ne savait pas, ne savait plus …

Siobhan quitta soudainement ses bras, sans même qu’il y prête la moindre attention. Ses yeux bruns fixaient le sol avec ahurissement, flous, perdus. Un juron franchit les lèvres de la blonde institutrice, et se laissant choir sur une chaise, elle fondit en sanglots ; spectacle émouvant que celui d’une femme fragile qui pleure … Sûrement qu’elle en était arrivé à la même conclusion que lui… Les hoquets larmoyants répétés de son amante tirèrent Maithias de sa léthargie. Il releva un regard triste sur elle. Il l’observa longuement ainsi, debout, contre le frigidaire, immobile, sans faire le moindre geste, priant silencieusement contre sa probable infortune. Mais finalement, il s’agenouilla auprès d’elle et pris ses mains entre les siennes. Elles étaient froides … La question qui s’imposa à lui fut la suivante : pleurait-elle parce qu’elle avait peur de tomber enceinte ? Où pleurait-elle parce qu’elle avait peur de la peur ? Maithias ne savait quoi faire. Lui qui s’était juré de tout faire pour elle ne semblait plus aussi sûr de ses promesses intérieures. Un enfant quoi… Un tout petit enfant…

Ces hypothèses catastrophiques faisaient pitié à voir, et quiconque aurait eu vent de leur situation leur aurait ri au nez. Après tout, ils ne pouvaient s’en prendre qu’à eux-mêmes, non ?! Maithias frottait ses mains contre celles de son amante, sans émettre le moindre son, espérant toujours…

Quelques heures auparavant, la maison Connors était encore illuminée par des sourires osés, et la soirée avait été plutôt agitée dans le salon. Agitée plusieurs fois même… Mais maintenant, le lieu semblait calme, trop calme. Seuls les longs sanglots de Siobhan brisaient le silence. Le simple fait qu’ils s’étaient rendu compte de leur énorme erreur avait contribué à renverser l’ambiance. Siobhan gisait malade et choquée sur une chaise, Maithias à ses pieds pour la rassurer comme il pouvait, quoique plus effrayé qu’elle encor’. Lentement, mue dans une transe réelle, elle glissa vers lui et se serra contre son torse nu, sa tête évidemment calée dans son cou. . Il frissonna à son contact, se rappelant soudain qu’il n’avait rien vêtu en ce début de matinée. Maithias dessinait mentalement les traits de son enfant, et secouant la tête d’un déni absolu, il se dit qu’il ne tournait pas rond. En ce moment, un gamin était la dernière chose dont il avait besoin. Siobhan souffla quelques mots confus :

« Je... Il... il va falloir que je passe... à la pharmacie, du coup. »

Il hocha la tête du haut vers le bas, acquiesçant les propos de son amante. Qu’auraient-ils pu faire d’autre ? Maithias soupira… Il n’imaginait même pas les conséquences qu’aurait eues un refus de la part de Siobhan pour tuer dans l’œuf ce qui aurait pu être un embryon… Aurait-il jamais accepté et assumé le fait qu’ils ne s’étaient pas protégés, et qu’il était désormais trop tard ? Il n’en savait trop rien. Il soupira à nouveau, plutôt soulagé que Siobhan n’ait émis la proposition de laisser faire la nature. Cependant, le cas « progéniture » n’était pas encore totalement résolu… Maithias jeta un œil à Si’, et constatant qu’elle ne tremblait plus, se décontracta un minimum. C’est ce moment qu’elle choisit pour manquer de heurter sa mâchoire en redressant d’un vif geste :

« Ah... Excuse-moi mon cœur... Et euh... Tu restes ici jusqu'à demain, dis ? Je veux pas être toute seule ce week-end... »

Maithias détourna brusquement son regard, et il se crispa à nouveau. Non il ne pouvait toujours pas. Aucune circonstance atténuante n’était tolérée chez les Circle Four. Une fois dans ce clan extrémiste, vous n’aviez plus le droit à l’erreur. Sinon, vous pouviez faire une croix sur votre vie, aussi précieuse soit-elle. Le pire était encore qu’il devait garder le silence. Il la serra plus fort, s’apprêtant à prononcer l’inévitable :

« Non Si’, je … je peux pas rester. J’ai, euuh ... un truc urgent à faire à Cork. Mais… Mais, je reviens ce soir, si tu veux ? Non ? »

Il tenta un sourire réconfortant, sachant pertinemment que cela ne suffirait pas pour le discréditer. Il s’en voulait terriblement, mais le choix ne faisait pas parti de la guerre civile qu’il engageait. Il coinça sa lèvre inférieure entre ses dents. Pourvu qu’elle comprenne …

Du coin de l’œil, Maithias put voir le sourire noir et faux qui fendit les lèvres de sa maîtresse, et regretta d’emblée son attitude. Encore une fois, il était fautif, comme toujours … Sauf que, dans ce cas, c’était malgré lui, dans un certain sens … Quand il avait rejoint les opposants, aveuglé par cette haine qui obscurcissait son cœur dans le but de retrouver sa sœur adorée, il n’avait compté sur de tels désagréments. Qui aurait pu d’ailleurs prévoir qu’il retrouverait Siobhan ? Qui aurait pu deviner qu’il se remettrait ensemble, d’un amour soudé ? Siobhan paraissait déconfite par la nouvelle de son départ, ayant sûrement d’autres plans pour eux en ce samedi. Depuis qu’ils s’étaient réveillés, rien ne tournait plus rond. Elle répondit à sa question, hésitante et déstabilisée :

« Ah... Ben euh... Si tu veux... J'ai rien de prévu ce week-end alors... »

Un air de désolation étira le visage de Maithias, qui s’excusait silencieusement auprès de son amante. Elle n’avait rien de prévu… comme il l’avait deviné. Il aurait voulu rester toute la journée, et même celle d’après encore, et peut-être même une semaine entière, ou encore toute une vie, être dans son ombre sans arrêt, l’accompagner à l’école, et ne la laisser qu’au dernier instant, lorsqu’elle franchirait la porte de sa classe et qu’il ne pourrait aller plus loin… Siobhan mordit sa lèvre inférieure, déçue et blessée par les propos de Maithias. Elle quitta ses bras pour s’installer sur un tabouret, crispant sa main autour de la tasse pleine de thé chaud qu’elle tenait. Elle buvait lentement, et lui buvait le moindre de ses gestes. Il ne savait plus quoi dire. Elle semblait plongée dans ses pensées… Faut dire qu’elle avait de quoi réfléchir. Soudainement, elle reposa sa tasse en fracas sur la table, et le récipient plein se fendit. Siobhan laissa échapper un juron et Maithias fronça ses sourcils. Il l’avait contrariée, il le voyait bien … D’ailleurs, le brun s’était changé en carpe depuis qu’il avait annoncé son départ. Il ne disait plus rien… Siobhan nettoya le thé renversé, et les bouts de verres brisé. Une fois la cuisine de nouveau impec’, elle glissa à lui, joignant ses mains aux siennes. Il lui sourit timidement et l’embrassa.

« Viens quand tu veux ce soir. La porte sera ouverte, tu n'auras pas à sonner ou frapper. Mais... Il faudra qu'on parle, tu le sais ça ? »

Il perdit son sourire et hocha la tête, un peu inquiet du cocktail d’interrogations que lui réservait la blonde. Mais il le savait bien. Ils ne pourraient éternellement esquiver les sujets fâcheux. Ils parleraient d’enfants sûrement … Et Maithias se déciderait enfin à lui avouer ses problèmes d’argent. Enfin, il l’espérait. Il passa ses mains dans la nuque de Siobhan et l’embrassa fougueusement. Pourvu qu’elle ne lui en veuille pas trop.