Lorsque le cuir fit vibrer la peau pâle de Jane pour la quatrième fois, Evan commença à se sentir excité. Croisant les jambes en logeant son menton dans la paume de sa main, il plissa légèrement les yeux, susceptible peut-être de voir dans la scène qui se déroulait devant lui autre chose que de la torture pure et simple. Kurt, d'ores et déjà essoufflé, tourna les yeux vers lui, quémandant sans doute une autorisation vaine. Jane, elle, restait là, penchée sur le bureau en serrant les dents et en retenant ses larmes.
Evan ne participait jamais physiquement aux flagellations publiques qu'il imposait pourtant à ses fidèles : c'était une règle d'or à laquelle ces derniers se pliaient sans trop de mal. Ce fut une pratique qu'ils mirent du temps à comprendre ; Evan lui-même refusa de s'y résigner en un premier temps, lorsque Dieu la lui conseilla. L'idée d'infliger pareille souffrance titillait son empathie et se montrait alors suffisamment rédhibitoire pour qu'il tienne tête à son créateur. Mais très vite, néanmoins, sa morale admit la défaite ; le temps passant, même, elle s'y plut et considéra le fouet comme un objet divin à part entière.
L’équilibre précaire de la santé morale d’Evan, si elle avait un jour inquiété qui que ce soit, semblait désormais trop acquise pour se stabiliser. Elle dansait sur deux pieds maladroits, valsant ça et là des rythmes endiablés, refusant tout répit pour mieux sombrer encore, cultivant avec jouissance sa propre déchéance. Peu importe si, parfois, ces pas s’embourbaient dans la mélasse gluante des idées lucides du brun ; sa folie divine, bientôt, venait reprendre ses droits sur son esprit torturé. Ce ne fut pas toujours comme ça, pourtant. Oh, non, loin de là ; si, quelques années plus tôt, l’on avait dit à Evan qu’observer une femme se faire fouetter lui collerait une érection de tous les diables, il n’aurait pas hésité à vous rire au nez. Il fut un temps, même, où les préoccupations monétaires lui passaient au-dessus de la tête. Où seul le score des Linfield en Ligue un préoccupait sa petite tête juvénile. Où le sort de ses parents, qui fréquentaient beaucoup trop de créanciers pour leur propre bien, avait priorité sur les conflits religieux qui déchiraient l’Irlande.
Retroussant le nez d’affliction et ravalant le goût âpre qui venait salir sa langue, Evan adressa un signe de main à Kurt qui, mal à l’aise, se recula prestement du corps meurtri de Jane. Celle-ci ne bougeait plus, prostrée contre le bureau en sanglotant. Lestement, presque sensuellement, Evan se remit debout ; d’une lenteur calculée, il s’approcha de la jeune femme et se pencha sur elle, collant son torse pour son dos strié pour déposer un baiser sur son épaule tremblante. Le goût de sa sueur imprégna ses lèvres, et s’il n’était pas déjà particulièrement troublé, nul doute que cet hydromel lui aurait fait perdre le sens commun des réalités.
« Ressentez, madame ; Dieu cicatrice vos douleurs. Ressentez son Océan d’Amour. Oubliez vos doutes : désormais, vous êtes sur la bonne voie. » murmura-t-il d’une voix suave, réprimant son envie de la posséder ici, maintenant. La libido d’Evan s’arrêtait là où commençait celle des autres. Il ne désirait Jane que pour une chose : son mariage. Cet interdit palliait à ses pulsions versatiles et, déjà, remarquant que le mari de la susnommée était absent, il se détachait, lassé.
Les choses avaient toujours été les mêmes : lorsque William avait le droit à des pommes de terre à la place des pâtes, Evan pleurait jusqu’à ce qu’on échange leurs assiettes, quand bien même il tenait les tubercules en horreur. Lorsque le gros Foster avait le droit à la chaise qui ne grinçait pas parce qu’il était riche, et protestant, Evan refusait de s’asseoir jusqu’à ce que la maîtresse daigne échanger les sièges. Lorsque Sheena, dont il était éperdument amoureux, refusait un verre en sa compagnie quand elle n’hésitait pas à ramper aux pieds d’un autre, il attendait ce dernier à la sortie des cours une barre en fer à la main, trop enragé pour oser comprendre ce qu’il projetait de faire. Les quarante-quatre tours tournaient encore, encore, encore. S’il avait été riche, ses parents auraient pu leur proposer autre chose que des foutus féculents. S’il avait eu de l’argent, le gros Foster n’aurait jamais eu l’audace de ricaner lorsque la maîtresse l’envoyait au coin. S’il avait pu avoir quelques billets de plus, Sheena l’aurait aimé, lui aussi, et il n’aurait pas eu à chialer William qu’il avait fait une connerie. La thune. Une évidence, pour un gosse de son acabit, qui n’avait jamais eu de quoi s’acheter la moindre barre chocolatée. Alors, Evan, qui en avait dans le crâne, commença à imaginer. Comment se remplir les poches le plus rapidement possible. Plus qu’une simple lubie, il en fit son obsession.
Lorsque ses fidèles quittèrent la pièce, Evan resta un long moment immobile, absorbé par la contemplation d’une puissance invisible. Ses yeux, dilatés par la concentration, ne tardèrent néanmoins pas à se river sur le mur à sa gauche ; là, une série d’arbalètes reposaient sagement, faisant mine d’une décoration désuète qui donnait un charme particulièrement primaire à l’ambiance déjà lourde. Aussi surprenant que cela puisse paraître, les premières fortunes d’Evan servirent à financer la livraison de ces armes en bois ; réminiscences des croisades passées, dirons les mauvaises langues.
La seule fois où William avait pris le temps de venir le voir à An Goilin, ils s’étaient partagés quelques carreaux dans un champ voisin, ‘pour rigoler’. William n’était pas habitué au recul de l’arme, et s’était luxé l’épaule ; Evan, qui avait toujours été beaucoup plus frêle que son frère, ce dernier ayant repris les affaires familiales et étant, de ce fait, particulièrement bien bâti, en avait ri aux larmes. Ce devait être la dernière fois qu'ils partageaient un élan de complicité fraternelle. Les dernières semaines où Evan, encore lucide, s’enrichissait sans penser à ses bribes d’honnêteté.
Les deux frères n’avaient jamais été particulièrement proches ; plus enclin à la patience par souci familial, tout au plus. S’ils n’avaient pas partagés le même sang ils ne se seraient certainement jamais supportés. Ils possédaient néanmoins une caractéristique commune qui, aujourd’hui encore, les faisait sourire de nostalgie : ils n’avaient jamais été faits pour l’école. William parce qu’il était davantage manuel, Evan parce que perdre son temps le cul posé sur une chaise à écouter des humains tout aussi faillibles que lui ne l’intéressait pas. Il ne possédait rien d’autre que son junior certificate qui prouvait qu’il savait écrire et compter, tout au plus. Pourtant, ça ne l’avait pas empêché de s’inscrire à l’université à l’aube de ses dix-sept ans ; prétextant avoir oublié la photocopie de son leaving certificate lors de son inscription, l’administration oublia bien vite sa frimousse et son dossier partit rejoindre les centaines d’autres. Ainsi, il put à loisir jouir d’une éducation illégale, croyant se plaire dans cette filière économique qui l’avait tant intrigué, berné par cette appellation aux multiples amalgames. Trop jeune, peut-être, pour réaliser sa bêtise, il se persuadait que c’était la voie la plus courte pour s’enrichir ; hélas, deux mois lui suffirent à se blaser du quotidien beaucoup trop posé d’étudiant. Alors, Evan se décida à employer les grands moyens, et s’il songea un instant à faire gigolo il opta bien vite pour quelque chose de beaucoup plus volumineux.
Il passa de nombreuses années à trimer, jonglant entre les activités morales et d’autres beaucoup moins, là où tout semblait juste pour se remplir les poches. Il s’était frotté à des mafieux qui lui avaient remis les idées en place à coups de poing, à des entreprises qui lui promettaient trop peu sur trop peu de temps, à des arnaques qui ne l’auraient rendus milliardaires qu’après de trop longues années.. En résumé, une avalanche d’échecs pour une somme minable. Il y eut bien Sarah, qui l’accompagna durant les trois années les plus intenses de sa vie, mais l’attirance irrépressible de cette dernière pour les bijoux demandait bien plus qu’ils ne gagnaient en un casse. Elle eut le privilège de lui apprendre le plaisir charnel et de lui faire découvrir la France (qui à l’époque lui apparaissait bêtement comme le berceau d’une fortune encore vierge) ; ils se quittèrent néanmoins en mauvais terme, puisque Evan l’abandonna du jour au lendemain en rentrant en Irlande sans lui laisser la moindre note. Aujourd’hui encore il lui arrive de se demander ce qu’elle est devenue. Sans une once de remords cependant il hausse les épaules et se détourne de ses souvenirs, uniquement concentré sur un avenir qu’il se crée inconsciemment.
« Tu ne voudrais tout de même pas te marier à Dieu et me priver d’arrières petits enfants j’espère ! » le rabrouait alors sa mère lorsqu’il abordait le sujet du futur avec elle, qui était bien la seule à lui parler d’autres choses que de sa nouvelle lubie divine lorsqu’il l’avait au téléphone. N’en déplaise à Freud et aux psychanalystes s’en inspirant, Evan n’avait jamais eu de problèmes avec ses parents, et encore moins avec sa mère ; au contraire, même, il avait toujours été particulièrement proche d’elle, comme une enveloppe à un joyeux précieux pour éviter qu’il ne s’érode. Il y avait des choses qu’il se refusait pourtant de lui avouer : s’il lui conseille de continuer à prier activement, de garder la foi, il ne l’inquiète pas de l’apocalypse qui se prépare pour ne pas inutilement fatiguer ses vieux nerfs. De la même manière, il ne lui avouera jamais parler avec Dieu par l’intermédiaire de ses pensées. Quant à la question des enfants, c’était clair comme de l’eau de roche : il en était hors de question. De toute façon, Evan n’avait jamais supporté les gosses autrement que de loin. N’abordons pas le sujet de l’éventuelle mère non plus, ce serait un peu trop d’un coup.
Lorsqu’il avait décidé de quitter Belfast, ce fut une pour une ville tranquille, à peine plus grande qu’un village, peut-être. Quelque chose de discret. Il avait fini par comprendre que pour atteindre les hauteurs, il devait commencer par escalader le bas. Son choix se porta alors sur An Goilin, un patelin irlandais comme on en faisait tant. Durant le trajet qui l’y mena, il réfléchit à sa manière de faire. Il décida d’exploiter la fibre religieuse, sujet houleux s’il y en a, de ses compatriotes. Lui-même trop instable pour croire en un catholicisme ou un protestantisme quelconque, il se permit d’y croire comme s’il s’agissait de sa meilleure idée. Sûrement qu’au début, ce fut le cas : il eut une montée fulgurante, devenant le porte-parole de tout un groupe de paumés qui se raccrochait à une éventuelle survie comme s’il s’agissait là de leur dernière chance. Il se forgea une réputation et une fortune immense, si immense qu’il n’y crut d’abord pas. Très vite, cependant, il y prit goût, tant et tant qu’il baissa sa garde. Cet esprit malsain qu’il avait toujours eu s’empara de lui et renversa le cours de son existence. Quelques mois plus tard, Evan lui-même adorait son Seigneur, caressait de sa langueur la toute-puissance qu’il lui octroyait, savourait son statut d’envoyé divin en perdant pied avec la réalité qui l’entourait. Ce qui avait été une impulsion vénale devenait son plus grand amour, lui qui n’avait jamais connu que les envies déviantes. Au final, le trèfle rouge n’en fut qu’une de plus : celle qui, à coup sûr, terminera d’annihiler le semblant de stabilité qu’on lui avait inculqué de force et que son organisme finissait par rejeter.
Si j'étais un album de chansons anglaises ? My aim is true – Elvis Costello.Irrévérencieux. Précurseur. Les mots sont maniés avec doigté, abordent les choses directement, sans artifices. Les pires thèmes sont abordés, le style est infaillible, l’écriture est irréprochable. Inqualifiable de perfection. Le malsain, le dégoûtant, l’innommable dans tout ce qu’il a de poétique.
Si j'étais une forêt ? Brocéliande.La France forme une mince part de son histoire. Ses légendes, elles, l’ont davantage intriguées. La mythologie arthurienne, sa magie, ses illogismes. Ses peurs médiévales. Sa sympathie gâchée par ses visites incessantes. Commerciale, beaucoup trop pour signifier la sincérité.
Si j'étais un mammifère ? Un humain.Avec tout ce qu’il a de détestable. Faillible mais supérieurement intelligent. Innovant, fourbe, illuminé. Obstiné. Le mensonge ne le dérange plus. Il pleure, il rit ; tout semble si facile. Il s’emporte, trop facilement, et s’échappe.
Si j'étais une odeur ? Les cendres.Encore fumantes. Une odeur étouffante, oppressante, partagée ; à la manière de l’essence, elle possède ses adorateurs et ses détracteurs. Poivrée, piquante aux premiers abords, elle devient rapidement écœurante si l’on prend le temps de creuser en profondeur. Les restes de ce qui fut. Un accompli déchu.
Si j'étais un site Internet ? Google.Tout vu, tout vécu. La connaissance arrogante. Le charisme, le pouvoir. Les gens lui font confiance, reposent sur lui, l’écoutent, se laissent guider.
Si j'étais une devise ? La livre irlandaise.La nostalgie, la révolte. Se fondre dans le moule, très peu pour lui. Quelque part, il reste accroché au passé. À sa mère. À ses contes d’enfants. Ses rêves, où tout était réalisable. Ne jamais se retourner, cependant : c’est le plus important pour garder la tête froide. S’il ne l’a pas déjà perdu.
Si j'étais un bruit ? Shlack.Simple, efficace. Un sursaut, peut-être ; c’est à la fois agressif et sensuel. Shlack. Pas forcément douloureux, pas forcément chaleureux. Un son assez neutre mais interpellant. Parfois impressionnant. Parfois terriblement pathétique.
Si j'étais un médicament ? Xanax.Tout est dans l’extrême. Quand rien ne va plus, quand on est las de faire semblant. Quand ça ne suffit plus. Alors, les cachets, l’esprit, la méthode de l’aveugle prend le relais. Tout est une histoire de spiritualité ; la tête contrôle tout, avant le corps, sa douleur, ses faiblesses. Les illusions sont parfois plus intenses que la griffure la plus lancinante.
Si j'étais un moyen de communication ? Le bouche à oreilles.La sensualité, le contact humain. Rien n’est plus fiable que la parole orale, rien n’est plus négligeable que la parole d’un être humain.
Si j'étais un parti politique ? Communisme.Montré du doigt, tourné en dérision, parfois extrémiste et souvent sous-estimé. Les jeunes, souvent trop emportés, souvent trop paumés, tâtonnent au hasard. Saisissant une chance, peut-être. La compréhension, le partage, l’amour. La tolérance, parfois hypocrite. Mais n’est-ce pas pour le bien de tous ?
Si j'étais un insecte ? La Reine des fourmis.Parce que tout se suffit à lui-même.
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Moi c’est Luka et comme je sais que tout le monde ne rêve que d’une chose, que je raconte ma vie, et bien je peux te dire que j’ai vingt ans et que je m’aime 
Quoi ? T’en as déjà marre ? Pourtant je t’ai toujours pas dis que j’habitais en Bretagne (quoi c'est pas un pays ?) et que j’avais choisis (l'on m'a imposé) Jude Law pour représenter mon personnage ! Je sais, j’ai une vie palpitante... 
Ah et puis c’est à cause de partenariat que tu va devoir me supporter 5j/7 ! Et oui, la vie est injuste… D’ailleurs, en parlant d’injustice, y’a les trois grands, majestueux, extraordinaires, parfaits, magnifiques, […] admins qui m’ont demandé d’aller chercher, à l’aide de mes p’tits yeux, dans le règlement un code secret pour pouvoir me rendre in the wonderland ! 
Il me semble que c’est Code validé par Naive. Et pour en rajouter une couche ils m’ont demandé de créditer ma photo ! C’est Banana Hammock qui l’a prise. Je vous laisse me complimenter sans retenue 
Vers l’infini et l’au-delà !
