« Dehors, bande de sales gosses dégénérés ! »

Seize heures trente, fin de l'école pour les élèves de primaire, même pour ceux de cette institutrice cynique adorablement nommée Siobhan Connors. Elle aurait bien aimé les garder jusqu'à dix-huit heures par pur sadisme, mais mine de rien, elle adorait ces enfants de huit ans qui, chaque matin, lui disaient tous bonjour avec un enthousiasme débordant. Et quittaient la salle de classe chaque soir avec ce même enthousiasme. Ca faisait toujours plaisir, mais bon... Ce n'étaient que des enfants, pour le moment. Elle était contente de ne pas avoir à les supporter d'ici une petite demi-douzaine d'années. La jeune femme laissa donc les gamins sortir de la salle de classe avant de réunir ses cours pour les mettre dans sa sacoche, bien rangés dans son trieur, puis sortir à son tour en bouclant soigneusement la porte. A chaque fois qu'elle quittait l'école, elle priait pour la retrouver bien entière le lendemain matin. On ne pouvait jamais savoir ce qui allait se passer dans la nuit, avec ces illuminés du Circle Four qui traînaient un peu partout...

Siobhan descendit tranquillement les escaliers, saluant Caitlyn, leur doyenne âgée de cinquante-sept ans. Elle était rentrée depuis déjà deux ans à An Goilin, mais elle avait l'impression de n'être revenue que la veille. Elle se demandait où étaient passés tous ceux qu'elle avait connus durant son enfance et son adolescence. Elle était quand même partie cinq ans à Cork. Elle avait perdu tout le monde de vue... Même Maithias. Maithias... La jeune femme poussa un petit soupir en replaçant sa sacoche sur son épaule. Il lui manquait. Maithias avait été l'un des premiers à sympathiser avec son frère, Edwin, malgré leurs cinq ans de différence, et Siobhan s'était incroyablement attachée à lui durant les années qu'ils avaient passées ensemble. Elle ne savait pas vraiment ce qu'elle ressentait pour lui, même après tant d'années sans s'être vus. C'était lui qui avait été son... disons... mentor, sur tout ce qui concernait le sexe, ou du moins une majeure partie. Elle s'était toujours demandé pourquoi il avait accepté si facilement de faire autant de choses si intimes avec elle. Bon sang, sa tête commençait à bourdonner.

Siobhan poussa un profond soupir en sortant de l'école, la rue l'accueillant avec une violente bourrasque de vent. Il ne faisait pas spécialement chaud malgré le soleil, tout ça à cause de ce fameux vent violent, un peu trop d'ailleurs. Limite à faire s'envoler les gamins. Ses yeux se perdirent un moment dans le vide pendant qu'elle refermait la porte du bâtiment derrière elle, encore perdue dans ses souvenirs avec Maithias. Elle en venait parfois à imaginer le contact de ses mains sur sa peau... Elle frissonna violemment, se mordit la lèvre histoire de se calmer un tant soit peu. Ce n'était ni le moment, ni l'endroit pour avoir de telles pensées. Ou presque, puisque ses yeux bleus tombèrent sur une silhouette familière qui avançait vers elle quand elle releva la tête. Elle plissa les yeux, avant de brutalement les écarquiller. Quand on parle du loup...

« Bon sang de bois... C'est toi, Maithias ? C'est bien toi ? »

Dissimulés, immobiles, à l’ombre d’une impasse, ils patientaient à deux. Leurs regards étaient rivés sur la structure de brique rouge qui leur faisait face ; et leurs traits, tendus. L’un tapait nerveusement du pied, soulevant des nuages de poussière dans l’air irlandais, l’autre rigide et crispé :
« - Y’en a encore pour longtemps ?!
- J’en sais rien … En tout cas, cette fois, leur foutue apocalypse, ils l’auront pour de bon !
Un rire mesquin retentit dans la sombre ruelle.
- Ouais. J’espère qu’on sera tranquille pour de bon … »
Et soudainement, ce qu’ils avaient semblé attendre vint, comme un flash, transperçant la pénombre de leur cachette jusqu’à les aveugler un instant. L’immeuble couleur de sang explosa. La déflagration projeta les briques de façon circulaire aux alentours de ce qui avait été une tour habitée d’hommes aux tuniques ornée de trèfles. Le sourire pendu aux lèvres, les deux hommes reculèrent d’un pas, contemplant le désastre qu’ils laissaient derrière eux. Ils avaient accompli leur mission, les 4 seraient satisfaits de leur travail… Au loin, une sirène retentit, cri de détresse assourdissant prévenant la population d’un danger imminent. Seulement, ici, on croyait savoir quels étaient les acteurs de cette œuvre misérable, de ce chaos instantané… Ils espéraient que les secours arriveraient le plus tard possible …

Maithias parcourait les rues du village gaiment, de nouveau seul. Son méfait envers le Trèfle Rouge accompli, il avait quitté son acolyte pour rentrer chez lui. Il espérait que ce nouvel acte terrifierait la secte plusieurs semaines au moins, mais il ne se faisait pas d’illusion : le groupe d’idéalistes apocalyptiques se relèverait de ce choc, et ils devraient continuer encore et encore à semer la terreur pour arriver enfin à leur but.
Une brise iodée balayait les avenues en cette fin d’après midi, et dans les rues du village littoral, les gens s’affairaient à leurs diverses tâches. C’était à se demander si l’incident de la matinée les affectait vraiment… Le beau brun marchait tête baissée, repensant à leur acte. Il avait détesté voir certaines volontés et vies détruites par la volonté et vie d’autres, mais s’il le fallait pour sauver sa sœur, il surmonterait la culpabilité. C’était ainsi ; c’était la vie.
Son parcours le mena à passer devant l’école du village, et des braillements assaillirent ses fragiles oreilles. Il fronça les sourcils, agacés, et s’arrêta pour contempler la grille en arc de cercle par laquelle les enfants sortaient. D’aucuns souriaient et couraient dans tout les sens, d’autres râlaient pour un rien, et une petite dernière pleurnichait pour sa glace tombée quand on l’avait bousculée… Toute cette innocence dispersée dans ce monde cataclysmique ravagée par les conflits. Quel gâchis …
Alors qu’il allait reprendre sa route et délaisser cette vision nostalgique d’une enfance passée, on l’interpella, et comment … :

« Bon sang de bois... C'est toi, Maithias ? C'est bien toi ? »

Il releva à nouveau ses yeux sombres et fixa celle qui l’avait appelé. Pendant un laps de temps réduit, il interrogea sa mémoire : qui était-elle ? Et soudain, les souvenirs lui revinrent, l’assaillant jusqu’à le faire flancher. Il se ressaisît rapidement. Elle ici …Mué par la stupeur, un son inaudible sorti de sa bouche grande ouverte.
Son premier amour. Elle était arrivée jeune à An Goilin, avec son frère. Ils s’étaient connus par le biais de ce dernier…

« Siobhan ?! »

C’était tout ce qu’il était en mesure de dire pour l’instant…

Les yeux écarquillés, la brunette plaqua une main sur sa bouche, profondément surprise de retrouver son... mentor, c'était le mot, oui, après tant de temps passé sans l'avoir vu. Son coeur battait à grands coups dans sa poitrine, sous le coup de l'émotion trop forte qui l'avait envahie. Et des souvenirs qui s'étaient immiscés dans sa mémoire à la simple vue du brun. Des nuits entières passées dans ses bras, à sentir ses mains sur sa peau, ses lèvres sur son corps... De nouveau, son coeur rata un battement. Elle allait finir par faire une crise cardiaque, avec toutes ces émotions. Il s'était terriblement embelli avec le temps, gagnant de la maturité, un certain taux de virilité aussi. Et... Il y avait quelque chose dans son regard qui faisait froid dans le dos. Que s'était-il passé durant ces sept ans sans se voir ?

« Siobhan ?! » Elle hocha la tête, incapable de dire quoi que ce soit tant l'émotion lui serrait le coeur. Elle se retint de lui sauter au cou pour le serrer contre elle et plus si affinités, tout simplement parce que la rue n'était pas vraiment appropriée et qu'elle n'était absolument pas certaines des réactions de son corps face à une telle proximité. Elle se contenta de s'approcher de quelques pas, comme pour pouvoir mieux le voir. Elle retint l'impulsion qui lui dictait de lever la main pour toucher son visage, si bien qu'elle finit par les coincer dans les poches de son jean artistiquement délavé. Elle avait terriblement envie de le sentir contre elle. Il lui avait vraiment manqué, il avait été son premier véritable ami à An Goilin et elle n'avait jamais vraiment pu oublier ce qui s'était passé ente eux. Le silence s'installa entre eux un instant, avant qu'elle ne finît par prendre la parole.

« On... On ferait mieux de monter dans ma salle de classe, on sera plus tranquilles pour discuter. »

Elle était bien loin de la Siobhan cynique de d'habitude. Elle adressa un petit sourire à Maithias, avant de rouvrir la porte de l'école et conduire le beau brun jusqu'au premier étage. Une fois devant la porte qui portait son nom et le niveau des élèves, elle fouilla dans son sac à main pour y retrouver ses clefs. Le panneau de bois peint de vert vif par ses élèves ne tarda pas à s'ouvrir sous sa poussée. Elle posa sa sacoche sur son bureau, s'assit sur ce dernier et fixa un long moment Maithias, qui venait de refermer la porte derrière lui. Nouveau silence. La brunette se releva, s'approchant de lui avant de finalement céder ses pulsions et lui sauter littéralement au cou, les bras autour de ses épaules et les jambes passées autour de sa taille. Elle lui avait littéralement sauté dessus, comme elle avait l'habitude de faire avant , quand ils étaient amants...

« Tu m'as manqué Maithias, vraiment... »

Oh que oui. Les premiers mois sans lui avaient été très durs, vraiment très durs, elle avait eu du mal à trouver son équilibre sans lui. Elle avait passé énormément de temps avec lui depuis son arrivée à An Goilin une vingtaine d'années plus tôt, et elle se sentait toujours un peu perdue sans sa présence. Même encore ces derniers jours, elle avait du mal à se remettre de leur séparation trop brutale. Enfin. Elle finit par s'écarter de lui, du moins juste assez pour regarder son visage, ses mains se posant sur ses joues. Son corps tout entier semblait réagir à la présence de Maithias, retrouvant des réflexes qu'elle avait cru oubliés depuis longtemps. Ses doigts caressèrent son visage, tandis qu'un air émerveillé se dessinait sur son visage fin.

« Euh... Excuse-moi, je dois te gêner là, non ? »

Si le soleil, haut dans le ciel, tapait fort sur la ville, il n’était pas la raison de l’abasourdissement de Maithias. Il n’en croyait pas ses yeux, et visiblement, elle non plus. Les yeux de la jeune femme paraissaient à deux cercles, et sa main couvrait sa fine bouche grande ouverte. Alors qu’elle s’approchait, il la contemplait longuement pour étudier ses traits. Elle était devenue celle qu’on devinait déjà dans le temps : une femme splendide, aux longs cheveux, qui vous retournait d’un simple regard aguicheur, avec un corps à vous couper le souffle. D’ailleurs, Maithias était époustouflé. Sous sa chemise blanche, les poils de son torse se hérissaient, attirés par tant de beauté. Et il l’avait laissée partir… Quel idiot il avait été. Le silence s’installa. Que pouvaient-ils inventer pour briser la glace dans de telles circonstances. Fidèle à elle-même, elle sut comment débrider la situation. Elle avait toujours été quelqu’un de pratique et clairvoyant :

« On... On ferait mieux de monter dans ma salle de classe, on sera plus tranquilles pour discuter. »

Etait-elle bouleversée ? Il se contenta de hocher la tête et de la suivre. Ils entrèrent dans l’école et montèrent à l’étage, entrant dans une pièce ornée d’une porte à son nom. Ainsi, elle était institutrice… Tandis qu'elle s'asseyait sur son bureau en y déposant son sac, il resta debout, à l'observer, plantant son regard dans le sien. Elle était trop jolie pour qu'il puisse l'ignorer. Soudainement, elle quitta le bureau pour se pendre à son cou. Il sourit intérieurement ; c'était si agréable ...

« Tu m'as manqué Maithias, vraiment... »

* A moi aussi… * Les mots restèrent coincés au fond de sa gorge. Mais comment avait-il pu la laisser filer ainsi ?! Merde !

1..2..3..4…7

Maithias comptait les années qui l’avaient séparé de cette femme au sourire ravageur. C’est fou comme le temps passe vite. Elle était là, devant lui, toute proche, plus près de lui qu’elle ne l’avait été une décennie entière. Il tressaillait au contact de cette main qui caressait son visage, alors qu’elle avait parcouru son corps entier des années durant, des années auparavant, sans émettre en lui le moindre frisson. Maithias sentit vibrer en lui des émotions qu’il croyait perdues, des sensations qu’il avait oubliées, porté par l’exaltation d’une retrouvaille fortuite.
Oublier, oui, c’était le mot. Comment avait-il pu, au travers de sa tristesse, effacer Siobhan de sa mémoire ? Elle, qui avait été la seule pour lui dans sa période adolescente, elle qui avait su entretenir son bonheur personnel grâce à son charme faussement innocent, elle qui lui avait illuminé ses soirées sans même le savoir, grâce au dévolu qu’il avait jeté sur elle. Maithias s’était indéniablement perdu dans les méandres de sa vie depuis la mort de ses géniteurs, jusqu’à même enterrer une femme exceptionnelle.

« Euh... Excuse-moi, je dois te gêner là, non ? »

Le brun sourit faiblement, prenant la main de Siobhan pour la remettre en place. Le souvenir de leurs nuits effrénées et pour le moins passionnées – quoi qu’il ait voulu prétendre et admettre – lui revenait, et l’envie de répéter ce qui avait été leur routine et leur enseignement nuptial le tenaillait. Mais trop de questions se bousculaient. Qu’avait-elle fait ? Avait-elle rencontré des hommes ? Que devenait-elle ? Quels étaient ses préposés ? Etourdi par tant d’interrogations, et à défaut de réponses, ça lui était impossible. Il s’assit sur une des minuscules chaises en bois, et prit Si’ sur ses genoux, comme il l’avait toujours fait, auparavant, attendant qu’elle lui raconte son histoire. Les souvenirs d’enfance sont toujours les plus puissants …

Si Maithias, trop chamboulé par la mort de ses parents, avait eu une certaine tendance à l'effacer de sa mémoire, la réciproque était totalement erronée. Elle avait longtemps rêvé de lui, de son contact sur son corps, elle avait souvent rêvé de leurs nuits ensemble, des murmures qu'ils échangeaient parfois, une fois leur passion dévorante apaisée un tant soit peu. Même quand Liam était là... Elle n'avait jamais pu oublier Maithias. Comment pouvait-elle, d'ailleurs ? Il était son premier amant, et sans nul doute son premier amour, en plus de son meilleur ami. Son estomac continuait de se tordre au simple contact de la peau du brun, son bas-ventre s'enflammait rien qu'à sentir son regard sur elle... Même avec Liam, la passion n'était pas aussi forte, aussi brûlante. Une passion qui lui faisait monter le rouge aux joues, à elle, l'institutrice cynique et froide...

Sans qu'elle ne sache trop comment, Siobhan se retrouva installée à califourchon sur les cuisses de son premier amant. Comme avant, comme si rien n'avait changé. Son coeur se remit immédiatement à galoper à toute vitesse dans sa poitrine. Presque immédiatement, elle se lova contre lui, la tête appuyée sur son épaule. Elle était parfaitement placée pour voir son visage, en détailler les moindres expressions. Et cette étincelle de curiosité dans les yeux du beau brun, elle la connaissait parfaitement. Elle se mordilla la lèvre. Que pouvait-elle vraiment lui dire ? Son coeur ralentit soudainement, alors qu'elle se calait un peu mieux contre lui, appuyant son front au creux de son cou tout en se tordant les doigts. Il fallait qu'elle lui raconte, sinon il allait la harceler. Ou si peu.

« Donc, je suis partie à Cork pour mes études. Je... J'ai rencontré un homme là bas, Liam, et... On a passé trois ans ensemble. Seulement, il n'a pas voulu me suivre jusqu'ici, il voulait que je reste à Cork avec lui en fait... Du coup je l'ai quitté. Et je ne l'ai pas revu depuis. »

Siobhan se mordilla la lèvre, cachant son visage fin au creux du cou du jeune homme. Elle inspira un long moment, s'imprégnant totalement de son odeur, comme elle en avait l'habitude. Rien ne semblait avoir changé entre eux, vraiment rien. Elle avait les mêmes gestes, les mêmes habitudes avec lui, comme si son corps retrouvait la bonne marche à suivre après trop de temps passé en veille, ou dans un état de torpeur totale. Elle se redressa un peu, caressa sa joue doucement, avant que ses doigts ne s'égarent sur ses lèvres. Doucement, la brunette les effleura, se retenant de l'embrasser fougueusement.

« Ca fait deux ans que je suis rentrée à An Goilin et je ne t'ai pas croisé avant aujourd'hui. Pourtant c'est une petite ville... »

Le reproche était sous-jacent, murmuré d'une voix triste, teintée de déception. Elle le fixa de ses yeux bleus, ses doigts se glissant dans ses cheveux bruns, alors que son corps s'approchait de celui de Maithias, comme deux aimants s'attirent. Ses sens s'enflammaient de plus en plus, elle avait du mal à retenir ses pulsions de femme, et surtout ses pulsions de maîtresse passionnée.

« Je peux savoir pourquoi ? A moins que ça ne te dérange. »

Parler, parler pour détourner son attention de ce corps si proche du sien, ce corps qu'elle devinait terriblement plus désirable que ce qu'elle avait pu voir auparavant, avant de partir en fait. Parler pour détourner son attention de son coeur qui s'emballait, de son souffle qui se faisait plus court, et de ses lèvres qui n'avaient qu'une seule envie, se souder à celles de Maithias...

C’est dans les moments les plus excessifs que l’âme se dévoile sous son vrai jour, libérée de l’oppression constante de la volonté de son détenteur. Le cœur de Maithias était à même d’exploser, tiraillé par des chaînes invisibles qui l’empêchaient de s’exprimer pleinement. Ces liens, préservateurs de l’anonymat des sentiments, étaient l’œuvre de l’esprit du beau brun. Il se refusait à tout geste effervescent, craignant de dévoiler l’intensité de son affection pour elle. Qui était-il pour revendiquer son amour ? Il l’avait délaissée, presque abandonnée, et ce sept années durant …

Assis, et elle sur ses genoux, il croyait rajeunir. Elle se serra contre lui, comme dans le passé, reposant sa tête sur son épaule. Il souriait, si heureux qu’on devait entendre son cœur battre de joie à cinq mile. Il ne cessait de lire aux travers de ses yeux ; ces yeux océan de sa beauté. Elle remua légèrement pour se serrer plus fort contre lui ; et il réprima l’envie de lui arracher tout ses vêtements.

C’était sûrement le plus dur. Se restreindre, regretter leurs nuits passées, souffrir le martyr, ne pas vouloir céder. Il n’était pas l’homme qu’il lui fallait. Il était froid, solitaire. Et de plus, il n’avait aucun droit sur elle, aucune emprise possible sur la réserve de son cœur. Il était impuissant, livré à son amour renaissant, luttant pour effacer le moindre besoin, le moindre indice. Il n’en avait pas le droit, elle n’était plus à lui…

« Donc, je suis partie à Cork pour mes études. Je... J'ai rencontré un homme là bas, Liam, et... On a passé trois ans ensemble. Seulement, il n'a pas voulu me suivre jusqu'ici, il voulait que je reste à Cork avec lui en fait... Du coup je l'ai quitté. Et je ne l'ai pas revu depuis. »

Liam… Il fut aussitôt heureux qu’elle l’ait quitté. Ceci dit, cette histoire ressemblait trop à la leur, et Maithias se sentit comme transpercé en notant les similitudes de cette relation. Elle n’avait pas de chance, tous les hommes qu’elle rencontrait étaient voués à la laisser partir … Il l’entendit prendre une bouffée d’air, qui sonnait en Maithias comme l’indice d’une rupture difficile. Avait-ce été dur pour elle ? Il la serra plus fort encore, la réconfortant silencieusement d’une douleur qu’il imaginait tant bien que mal.

Elle effleura sa joue de ses doigts gracieux, puis ses lèvres… Elle le torturait involontairement de par ses gestes émotifs, et il peinait à se contrôler. Intérieurement, il formulait la prière qu’elle ne le touche plus, paradoxalement désireux de la posséder à tout jamais.

« Ca fait deux ans que je suis rentrée à An Góilín et je ne t'ai pas croisé avant aujourd'hui. Pourtant c'est une petite ville... »

Elle disait cela tristement, comme déçue. Devait-il lui dire ? Il ne voulait pas l’accabler en cette journée de retrouvailles. Elle affichait une mine triste. Il s’en voulut. Passant sa main dans ses cheveux, elle le questionna.

« Je peux savoir pourquoi ? A moins que ça ne te dérange. »

Mais ce fut le geste de trop sans doute. Les chaînes explosèrent, et au travers de sa délibération, il sut enfin dévoiler ses sentiments, soulageant son coeur de tant de passion. Eperdu et fougueux à la fois, il pressa frénétiquement ses lèvres contre les siennes. C’était trop tard pour les regrets. Trop tard pour les questions. Trop tôt pour les réponses.
Siobhan, sa Si’rène …

Pour n'importe qui d'autre, le silence de Maithias aurait pu mettre mal à l'aise. Mais Siobhan l'avait toujours connu comme ça, plutôt réservé, le genre de gars qui préfère écouter plutôt que parler. Elle connaissait aussi son langage corporel. N'oublions pas qu'ils étaient amants, après tout, c'était plutôt logique... Elle sentait ses muscles se crisper ou se décrisper à leur guise, et la moindre crispation, même la plus infime qui soit, la renseignait sur ses réactions bien mieux que des mots. Ce fut pour ça qu'elle sut tout de suite que l'existence de Liam ne lui plaisait pas, quand elle évoqua le sujet. Les muscles de ses bras s'étaient brutalement noués et la tension avait gagné ses épaules. D'entrée, elle se rendit compte que les sentiments de Maithias, qu'elle avait su deviner lors de leurs moments intimes, étaient toujours d'actualité, du moins en partie. Et, étrangement, cette constatation lui réchauffa le coeur.

Elle le laissa donc sagement la serrer de plus belle contre lui, fermant les yeux pour mieux apprécier l'étreinte. Elle avait toujours aimé ses bras, ils lui donnaient l'impression d'être protégée de tout. Ce jour-ci encore plus que jamais. Cette simple étreinte suffit à briser les barrières qu'elle s'était imposées pour ne pas craquer, et ses mains se perdirent sur son visage, dans ses cheveux, alors qu'elle lui faisait part de sa déception de ne pas l'avoir vu plus tôt depuis son retour au village. Mais elle n'eut pas le temps d'aller plus loin, elle sentit soudainement les lèvres de Maithias se presser contre les siennes, avides, fougueuses. Et terriblement douces. Ses propres protections volèrent en éclats, trop frêles pour résister à la passion dévorante qui l'envahit dès que les lèvres de son amant trouvèrent les siennes. Ses mains se plongèrent dans ses cheveux, elle répondit à son baiser avec une ardeur terrible, alors qu'elle se plaquait contre lui, manquant de faire basculer la chaise sur laquelle ils se trouvaient.

Très vite, les mains de Siobhan trouvèrent le chemin de la peau de Maithias. Elle glissa ses mains sous son t-shirt, le soulevant rapidement, sans cesser de l'embrasser. Elle ne détacha ses lèvres des siennes que lorsqu'il fallut envoyer balader le haut de son amant, très loin dans la classe, quelque part vers les poufs et canapés réservés pour la lecture. Elle entreprit ensuite de retirer son chemisier une fois sa bouche de nouveau contre celle de Maithias, balançant la pièce de coton plus loin. Son soutien-gorge trouva à son tour le chemin du sol, et ce ne fut qu'à ce moment-là qu'elle daigna de nouveau se plaquer contre lui, les bras étroitement serrés autour de ses épaules. Elle le voulait, plus que n'importe qui et, surtout, plus que n'importe quand. Ses yeux bleus brillants d'envie finirent par se planter dans ceux de Maithias tandis qu'ils se détachaient finalement des lèvres de l'autre pour reprendre leur souffle. Ses doigts glissèrent le long de son visage, et ce ne fut qu'à ce moment qu'elle se rendit compte qu'elle était allongée sur son bureau, les jambes serrées autour du bassin de son amant. Elle pouvait d'ailleurs sentir son désir au travers de leurs jeans respectifs.

« Mait'... Viens, comme avant, s'il te plaît... »

Sa voix n'était qu'un murmure rauque. Rien que ceci aurait fait craquer la majorité des hommes. Ajoutez-y un regard brillant d'envie, des joues roses sous l'excitation, un corps à demi nu et une crinière de cheveux bruns savamment ébouriffés, et vous obtenez le cocktail explosif parfait pour mettre tous les hommes à vos pieds. Cocktail explosif qu'était actuellement Siobhan. Et, même si elle n'en avait pas tout à fait conscience, elle en jouait parfaitement bien. Peut-être par pure habitude, peut-être par simple envie pour ces retrouvailles qui s'annonçaient mémorables... Princesse Siobhan et Prince Maithias... tu te souviens ? Le prince et la princesse de nouveau réunis, le destin fait très bien les choses. Parce que nos retrouvailles ne sont pas dues au hasard.

Alors qu’une infinité de mots étaient nécessaires pour exprimer une valeur comme l’amour, une valeur qui, malgré toutes nos tentatives pour la cerner, restait vierge de toute définition, seul un geste, oui, un geste des plus nobles suffisait. Le baiser, l’union des lèvres, était à même de sceller l’union de deux personnes, d’assembler les âmes incandescentes d’une femme et d’un homme, par un simple échange passionné prolongé. C’est ce qu’oubliait bien souvent la nouvelle génération ; l’accord qu’elle attestait par ce contact…

Siobhan et Maithias enlacés, leurs lèvres appuyées l’une contre l’autre… seule une réponse engageante de la jeune femme à la longue chevelure manquait pour parfaire le tableau. Mais personne n’aurait pu s’attendre à une telle ardeur, une telle ferveur dans ce baiser qui marquait les retrouvailles de deux amants qui s’étaient perdus de vue, qui réincarnait leurs nuits passées à étudier leur physiologie. Siobhan réagit de tout son cœur, pressant le brun si fort que leur chaise se souleva un instant. Oui, il ne la méritait pas, c’était certain. Elle n’avait pas de rancune envers lui, et cette générosité dont elle faisait preuve certifiait sa supériorité. Maithias était un égoïste né. Mais s’il savait qu’elle avait été trop charitable avec lui, il savait aussi qu’il profiterait pleinement d’elle désormais, maintenant, toute de suite.

Elle enleva le haut de Maithias, se détachant quelques instants de ses lèvres. A peine l’eut-elle retiré qu’il chercha à nouveau ce contact électrisant qui lui procurait tant de bien. Il pouvait sentir le moindre de ses mouvements, la moindre de ses respirations, ses doigts passer dans ses cheveux ébouriffés, ses doigts glisser lentement sur sa chemise pour la déboutonner. La salle de classe devint bientôt le refuge de deux adultes exaltés, mais aussi la penderie à même le sol de leurs vêtements valdingués. Il détacha son soutien-gorge délicatement, prisant les moindres secondes qu’ils passaient ensemble dans cet endroit inhabituel. Une école… Comme pour leur remémorer leur jeunesse passée. Et elle le regarda, fixant son regard dans le sien. Un de ces regards amoureux qui vous coupent le souffle. Elle s’arrêta quelques secondes, et ils remarquèrent tout deux que désormais, elle était sur le bureau, les genoux enroulés autour de sa taille.

« Mait'... Viens, comme avant, s'il te plaît... »

Oh, oui, comme avant... Le avant semblait tellement simple, tellement mieux. Sa voix était enrouée par le souffle qu’il lui manquait. Il sourit en coin. En cet instant quelque peu magique, et sûrement trop féérique, elle semblait parfaite. Il aurait fondu sur elle n’importe quand, juste un mot d’elle aurait suffi. Cette simple demande, qui signifiait la poursuite des festivités, lui convenait. Prenant quelques secondes pour accumuler en lui cette violente surexcitation, il l’embrassa à nouveau, lui transmettant son désir envahissant. Leurs jeans rejoignirent le carrelage froid, et leurs dessous glissèrent finalement. Maithias ne voulait qu’elle, n’avait besoin que d’elle. Il se sentait entier, heureux, comme il ne l’avait pas été depuis des mois. En ce moment même, elle était son salut. Et il désirait la combler comme jamais encore il ne l’avait voulu…

Enlacés, à terre, les deux amants se dévoraient du regard. Maithias souriait, volant quelques baisers à cette femme qu’il croyait perdu quelques heures auparavant encore. Elle était tellement belle.

Si’, je veux que tu sois mienne pour toujours. Je ne veux plus jamais te quitter. Je t’en prie, aime moi …

C'était étrange comme la simple présence d'une personne peut vous glacer d'effroi ou, au contraire, vous remplir de joie, ou de tout autre sentiment approchant ou déviant. C'était ce qui se passait entre eux, tout du moins si la jeune femme en croyait son coeur qui bondissait comme un véritable cabri. Elle ne comprenait pas vraiment pourquoi ses retrouvailles avec Maithias la faisaient autant réagir. Elle connaissait son corps par coeur, elle l'appréciait aussi, mais ce n'était pas une raison suffisante. Le simple fait de s'embrasser provoquait des sensations terribles au creux du corps de Siobhan, comme si un fil rouge ténu reliait ses lèvres au moindre de ses nerfs... Elle avait envie de lui, plus que jamais, et toujours plus au fur et à mesure qu'ils se dénudaient.

Si elle avait su qu'elle ferait l'amour sur son lieu de travail... Mais pour le moment, peu lui importait le lieu dans lequel ils se trouvaient, bien que le choix de l'école pouvait prêter à sourire. L'école, symbole de l'enseignement oui, mais aussi celui de la jeunesse et de l'innocence. L'innocence, ils l'avaient perdue depuis longtemps. Mais sans doute l'endroit était parfaitement en accord avec leur histoire passée... Les mains de Maithias sur sa peau l'électrisaient totalement, elle frissonnait comme jamais, mais d'un désir profond, pas d'un quelconque froid. Leur proximité était telle... Elle voulait qu'il la possède, elle voulait voir se refléter son désir dans ses yeux, elle le voulait, tout entier. Et pas seulement son corps. Cette révélation lui coupa le souffle, bien que le fait que Maithias aventurât ses mains dans des recoins de plus en plus secrets de son corps participât également à ce phénomène. Mais surtout, elle s'était rendue compte d'une chose fondamentale ; Maithias avait été son premier amour et malgré son histoire avec Liam, elle n'avait jamais cessé de l'aimer. Était-ce donc pour cela qu'elle n'avait eu aucun regret à laisser Liam derrière elle ?

Ce fut peut-être cette révélation qui fit paraître leur union magique pour Siobhan. Des étoiles illuminaient son regard, alors que Maithias lui faisait l'amour avec une fougue qu'elle ne lui avait jamais connue jusqu'alors. Elle n'avait jamais ressenti cette plénitude avec lui, cette sensation d'être enfin entière, à sa place. Comment avait-elle pu être aveugle pendant tant de temps ? C'était bien ce qu'elle se demandait alors qu'ils se dévoraient l'un l'autre du regard, allongés sur les tapis moelleux du coin lecture, la tête de la jeune femme posée sur un pouf jaune poussin. Elle le dévisagea encore et encore, tentant d'imprimer son image dans sa mémoire bien qu'elle connût déjà le moindre détail de ses traits. Ses doigts s'emmêlèrent étroitement à ceux de Maithias, avant qu'elle n'amène leurs mains jointes à son visage, pressant celle de son amant contre sa joue. Je t'aime. Et toi ? Pourrais-tu me le dire, un jour ? Tu as caché tes sentiments pendant tant de temps, et pourtant je les ai vus, ce soir, je les ai parfaitement vus...

« Embrasse-moi. »

Un simple souffle, ni suppliant ni impérieux. Une demande qui semblait tout à fait banale. Mais si Maithias s'exécutait, elle serait fixée sur ce qu'il ressentait pour elle. Jamais il ne l'avait embrassée en dehors de leurs unions. Avant oui, après, il n'en était pas question. Jamais. Elle avait beau lui avoir demandé pendant des années, il ne l'avait jamais fait.

Embrasse-moi. Caresse-moi. Prends-moi. Aime-moi comme tu n'as jamais aimé...

« Embrasse-moi. »

Ces deux simples mots, perdus dans le silence de leur contemplation, parvinrent à ses oreilles comme un chétif espoir. Il lui sourit faiblement, plongé dans les méandres de son passé…

Des rires, des cris, des pleurs, du bruit. De la vie. Maithias se souvenait son enfance heureuse à An Góilín, auprès d’une famille généreuse. Il avait été un enfant énergique, au sourire facile, débordant de joie de vivre, même lorsque tout le monde, autour de lui, n’avait pas le cœur en fête. Il se souvenait de journées, il se souvenait de soirées ; de marches à travers le village, seul, exalté, gambadant à moitié sur les trottoirs ; de jeux de société en folies ; des parties de football avec le voisin ; des nuits. Mais surtout, Maithias se rappelait leur rencontre…

C’était une journée estivale. Edwin l’avait invité chez lui pour un poker agrémenté d’un thé glacé, et il avait bien évidemment accepté. Il se rappellerait toujours celle qu’il entrevit lorsqu’Edwin poussa la porte d’entrée. Elle était petite et innocente, mais ce sourire introverti qu’elle portait sans arrêt sur son visage l’avait attendri, lui, grand gaillard de 13 ans, supposé n’en avoir rien à faire des filles, et encore moins des petites filles. Mais c’était ainsi. Il était resté scotché à ce visage bercé de candeur. Bien sûr, il s’était tu. Qu’aurait pensé Edwin de lui s’il avait su que son ami de classe trouvait sa sœur adorable ? Mieux valait ne rien dire. Le fait est que son visage le marqua, et à chaque fois qu’il revint chez Edwin, il chercha du regard sa sœur ; Siobhan. Les rares fois où il sortait de la maison des Connors sans avoir entraperçu la fillette, il s’en retournait chez lui dépité.

Les années passèrent, et les enfants grandirent. Bientôt, les cinq années d’écart entre les deux jeunes gens parurent bien moins grandes, et ils apprirent à se connaître. Et l’attendrissement de Maithias devint affection, puis amour. Oui, assurément, il se souvenait tout. Leurs jeux, leurs regards, leurs nuits…

Siobhan était devenue une jeune femme terriblement belle, et bien qu’elle ait perdue son innocence depuis longtemps, on retrouvait dans son regard le charme ingénu de son enfance. Les minutes avaient tournées depuis la demande de la brunette, sans que Maithias ne bouge. Il sortit de sa torpeur et lui décocha un regard étincelant, puis, approchement doucement son visage du sien, pressa ses lèvres tendrement contre les siennes. Aussi longtemps que possible. Pour toujours, s’il avait pu.