Irlande du Sud ; An Goilin. 13 Octobre 1981 ; 20h15 En cette sombre nuit d’Octobre 81, il faisait assurément froid. L’Irlande n’est pas réputée pour sa chaleur. La lumière blanche et aveuglante de l’endroit correspondait à l’habituelle clarté des hôpitaux. Comme pour se démarquer du reste, de la pâleur des couleurs au crépuscule, l’inutilité des faiblardes lumières extérieures. Je poussais mon premier cri, le seul et unique qui ferait jamais sourire ma mère. Elle, allongée et visiblement exténuée, m’observais intensément et curieusement. Je ne comprendrais que plus tard – trop tard - que c’était de la fierté qui enflammait ses yeux bruns en cet instant. Père, debout face au lit, gardait une mine sombre et peu engageante, celle qu’il me réserverait toute une vie, s’il l’avait pu.
Irlande du Sud ; An Goilin. 1994.D’emblée, le sort avait annoncé le ton de ma vie : un chiffre marqué du sceau de la malchance, une pénombre saisissante et une froideur remarquable pour un jour automnal. De quoi combler un mort. La clinique de Cork était d’une blancheur trop franche à mon goût. Trop artificielle… La crique, premier paysage que j’eu jamais examiné de mon regard d’enfant, fut sans doute le plus époustouflant. Mon enfance, bercée par un vent léger et une ambiance aussi féérique que festive, n’eut comme seul défaut que sa durée regrettable. Le temps me glissa entre les doigts, et vint bientôt la fameuse adolescence. Au passage, j’eut effleuré le regard des filles en suscitant des amitiés, moi de nature quotidiennement joyeuse. J’avais sept ans quand je revis la clinique : ma mère m’offrit une sœur. Une jolie bouille, comme tout nourrisson je présume. Même si notre différence d’âge ne nous permit pas de tisser une complicité digne de ce nom, je nourrit à son égard une fierté et un sentiment protecteur infaillible.
Irlande de l’Ouest ; 21 Février 1999 ; 19h33min2sec. « Neuf mois d’attente et de souffrance, neuf mois de repos et d’espoir ; neuf, comme pour annoncer la vie ; neuf, comme pour acclamer un vainqueur, un champion. Tant de mois, de jours, d’heures et de minutes pour parvenir enfin à un résultat inexprimable, une stupéfaction débordante mêlée à une joie explosive. Et pourtant, seul une seconde suffit pour tout renverser, tout détruire, tout annihiler. Pour tout oublier, regretter. Tel est le destin de l’homme, et tel le sera. C’était inévitable, mais l’inévitable vint avec avance, comme un amant se précipite pour rejoindre sa bien aimée. Seulement, au bout du couloir, c’était la mort qui leur souriait … »
Le souffle de ma sœur rythmait mes pensées, elle allongée sur mon ventre, endormie, jeune, innocente, bien trop jeune … Mes parents, partis, vers je ne sais quel contrée digne d’exploration. En une fraction, un mouvement, un battement de cil, le cadeau si précieux que leur mère leur avait offert fut emporté, brisé. Un rêve envolé. Seul un moment d’inattention à un carrefour mal éclairé leur avait valu la vie. Ce fut le tournant de la mienne, et peut-être aussi celui de ma sœur …
Irlande du Sud ; An Goilin. 2001. Depuis plusieurs mois, je n’étais plus le même. Le choc occasionné par la perte de mes géniteurs se faisait encore ressentir. J’obtins la garde de ma jeune sœur, donnant tout ce que je possédais pour qu’elle se relève de ce cauchemar vivant. Ma fierté fut de lui redonner le sourire, aussi mince restait-il sur son visage enfantin. Quant à moi, j’étais devenu sombre. N’ayant personne à qui parler, et préférant la solitude à une bonne compagnie, je m’enfermais. Chaque jour qui passait me rendait un peu plus froid, un peu plus triste, et mon seul bonheur résidait en la personne de ma sœur.
Irlande du Sud ; An Goilin 2006 Quand la secte vit le jour, ce fut à l’ombre de moi-même. J’avais coupé mes liens avec le monde extérieur, vivant comme un fantôme. Sans le savoir, j’abandonnais ainsi mon trésor aux autres. La croyant remise, j’avais été trop optimiste. La vérité était que ma sœur tombait peu à peu sous l’emprise des fanatiques, qui par leur techniques de bien-être extrême, avait paru à ma sœur comme la divine providence. Lorsque j’ouvris enfin les yeux, il était trop tard ; la prunelle de mes yeux avait rejoint un clan malveillant et avide de pouvoir, qu’il obtenait d’ailleurs peu à peu. La colère et la haine m’envahit ; on m’avait volé mon précieux à moi. Je me relevais, porté par ces sentiments obscurs, nourrissant un dégoût sans pareille envers le Trèfle Rouge.
L’opposition naissant bientôt à An Goilin, je vis ce nouveau clan comme seul espoir pour récupérer ma sœur. Prêt au tout pour le tout, et même au plus dangereux, je tentais désespérément de prendre contact avec les C4. Parcourant tous les lieux les moins fréquentables, je parsemais par ci par là mes idéaux et mes envies de destruction, non sans finesse et prudence. Finalement, après de durs mois de recherche, ce fut au bar-tabac que je trouvais mon sauveur : Daley, un homme souriant au caractère toutefois particulier. Sans y aller par quatre chemins, il m’avoua ses ambitions et son idéal dans cette guerre des clans. Je faisais de même, décidant de jouer la carte de la franchise. Quelque semaines plus tard, je rejoignais les Explosifs, comme on les surnomme, à ma plus grande joie. Désormais actif et remis, cependant sombre et haineux, j’avais les cartes en main pour récupérer celle que je chérissais plus que tout au monde.
Alea Jacta Est.