La journée avait longue. Tenir une bijouterie n’était pas aussi simple que ça en avait l’air. Vous n’imaginez pas tous les idiots dépourvu du moindre sou qui passaient les portes de la boutique, demandaient à voir tel ou tel bijou, pour ensuite secouer la tête et partir sans rien avoir acheter. Ce que ça pouvait être frustrant ! Voir quelqu’un sortir de sa boutique les mains dans les poches. En fait, Nellyham avait ses clients, et c’était rarement que de nouveaux clients venaient pour acheter quelque chose. La plupart du temps, ils se contentaient de regarder. Et elle, elle les fixait du regard. Son père lui avait toujours dit de ne jamais quitter le client du regard. Non pas par peur, uniquement parce qu’ainsi, il se sentait beaucoup plus en confiance.

Gaël venait donc de terminer sa journée. Elle ferma les rideaux de fer, puis termina pas la porte. Quiconque tentait de s’en prendre à sa bijouterie serrait irrévocablement piégé. Elle avait fait venir les systèmes de sécurité spécialement des USA. Le must du must. Autant dire que si un voleur venait à s’infiltrer dans sa boutique, il ne serait pas déçu, ah ça non.

La jeune femme brune mit son sac sur l’épaule, et quitta la ville. Elle ne se dirigea pas en direction de la villa des Montgomery, non. Bien que le soleil ne tarderait pas à se coucher, Nellyham n’avait pas envie de rentrer chez elle. La raison était simple, et tenait en deux mots : son frère. La villa qu’elle habitait était emplie de ses souvenirs, de photos de lui et d’elle, et même si c’était là de bons souvenirs, cela lui rappelait surtout qu’il n’était plus là. De la même façon, elle n’avait guère envie de parler avec ses parents. En fait, ce qu’elle voulait, c’était être un peu seule, ou tout du moins, ne pas être avec des gens de sa famille. Ordinairement, elle recherchait toujours la compagnie, mais pas ce soir. Penser à son frère, lui faisait penser aussi à Maithais ... Il avait aussi perdu sa soeur, et même ainsi, Nelly le considérait comme son frère de cœur.

Il fallait qu’elle mette ses idées au clair. Quoi de mieux, pour ça, que de venir marcher dans la forêt ? Elle aimait cet endroit, d’autant plus que le crépuscule était sur le point de tomber. Elle aimait les couleurs que prenait le ciel, et les couleurs du sous-bois qui s’assombrissait. Elle s’y sentait à l’aise. Les bruits du jour s’éteignaient pour laisser place à ceux de la nuit. Mais lorsque la jeune femme parvint aux abords de la clairière qu’elle appréciait tant, elle remarqua qu’il y avait là déjà une personne, dont elle reconnut aussitôt la silhouette. Un bref sourire s'installa sur ses lèvres, tandis qu'elle s'approchait de Maithias.

« … et c’était U2 avec son antique tube Sunday Bloody Sunday, bonne fin de soirée à vous, nos auditeurs, on se retrouve après une page de pub pour un débat concernant la disparition des oiseaux migrateurs, a tout de s ... »

Vlan. La main de Maithias s’écrasa sur le réveil électronique, coupant rageusement la voix éreintante de l’animateur radio. Il était déjà six heures du soir passées, et le distant brun ne s’était toujours pas levé. La soirée précédente avait été longue, et il avait rattrapé les heures de sommeil perdues. Seul, allongé dans son lit en érable, dans une pièce vierge de toute décoration, il contemplait le plafond gris d’un regard perdu. Préoccupé. En cet instant, où était-elle ? Que faisait-elle ? Avait-elle de nouveaux amis, des gens à qui faire confiance ? Cathleen lui manquait, mais pour l’instant, il ne pouvait presque rien faire contre son désir fraternel. Elle était majeure, après tout …

Se levant enfin, dans un sursaut d’énergie, Maithias tira les rideaux bleu marine pour poser son regard sur la ville en contrebas. Sa ville. Femmes et hommes allaient et venaient, des sacoches à la main. La journée de travail touchait à sa fin pour la plupart, et d’un pas décidé mais lourd, chacun rejoignait sa demeure pour y retrouver sa famille. Lui aurait tant voulu en avoir une… Il quitta cette vue qui le rendait triste pour se diriger vers sa penderie, en sortant un pull noir, un tee-shirt mauve, et un jean bleu délavé. D’un geste engourdi, il frotta sa main contre ses yeux, tentant d’échapper définitivement à son sommeil. Des cernes marquaient son visage lassé. Il dormait trop peu.

Quittant sa chambre pour attraper une pomme sur le plateau entreposé dans sa kitchenette, il s’habilla lentement. Il n’était pas pressé. Sans l’action quotidienne imposée par les rivaux du Trèfle Rouge, les journées de Maithias auraient toutes été les mêmes. Finalement, il décida de sortir pour s’offrir une promenade décontractée. Il avait besoin de se changer les idées, d’oublier qu’il était seul, et qu’une guerre des clans s’annonçait bientôt. Personne n’avait mérité ça, lui autant que tous les autres habitants du village.

Il sortit donc, dévalant les marches de son immeuble, comme toujours. Il marcha dans An Góilín quelque temps, puis quitta les routes et rejoignis les sentiers de forêt. Ici bas, l’odeur était saisissante et la plénitude totale. Alors qu'il avançait à l'ombre des grands arbres, écartant quelques brindilles de son pied, une silhouette s'esquissa au loin. Au fur et à mesure qu'il avançait, il commençait à reconnaître ses traits. D'ailleurs, elle l'observait déjà...

« Nelly’ ! »

Il accéléra le pas pour aller à sa rencontre. Ça faisait un bout de temps qu'il n'avait croisé sa soeur de coeur...

Même si Edward n’était plus là … Nellyham avait trouvé en Maithias un second frère. Comment aurait-elle pu se douter, que lorsque, il y a quelques mois, sortant de chez elle, souhaitant se changer les idées, elle tomberait sur un type pas très net, et qu’aussitôt, Maithias viendrait à la rescousse ? Bref, les deux jeunes gens s’étaient très vite entendus … et étaient devenus aussi proches qu’un frère et une sœur pouvaient l’être.

D’ailleurs, voilà plusieurs jours qu’elle n’avait pas vu Maithias, et la perspective de le voir ce soir la revigora. Son envie d’être seule fut rapidement oubliée ; la compagnie de son frère était bien mieux que ça, et une chose était sûre, elle pourrait lui parler de tout. Ils faisaient tous deux partis du C4, et Nellyham estimait qu’il devait savoir tout ce qu’elle savait. Après tout, lui aussi avait perdu un être cher à cause de la Secte…
Voyant son frère approcher, Nelly repoussa une mèche de ses cheveux derrière son oreille. Elle offrit un sourire resplendissant au jeune homme, comme elle seule savait les faire.

« Maithias ! » La jeune femme s’approcha à son tour, et prit le jeune homme dans ses bras. Elle le serra un bref instant, avant de desserrer son étreinte, et de fixer celui qu’elle considérait comme un membre de sa famille. Ses sourcils se froncèrent doucement sur son visage angélique, et une mine inquiète vint s’afficher sur ses traits. « Es-ce que ça va ? » Malgré la pénombre de la clairière et de la tombée de la nuit, rien n’échappait à Gaël. Les cernes sur le visage de Maithias ne disaient rien qui vaille. Sa question n’était pas seulement posée pour l’état de santé du jeune homme, mais elle voulait aussi dire « pourquoi donc es-tu dans cet état ? S’est-il passé quelque chose..? » Même si d’ordinaire, Nellyham ne cachait pas ses questions, celle-ci était à double sens et dans le contexte actuel, on pouvait aisément le deviner.

Nelly appartenait peut être au C4, mais très peu de personnes étaient au courant. Non, en fait, une seule personne l’était, et cette personne se tenait devant elle. Elle ne faisait confiance à personne en dehors de Maithias. Une seule trahison suffisait. Oui, elle prenait la disparition d’Edwad comme une trahison. Il n’avait rien dit, rien fait, et avait juste disparu. Même les parents de la jeune femme ignorait tout de sa situation. Si seulement ils savaient … Nul doute qu’elle écoperait d’une sale punition. Ce pourquoi, la brune n’avait aucunement l’intention de leur dire.

Quand il la vit, elle et ses cheveux châtains tortillés, elle et ses yeux chocolat fondant, il sourit. Rien qu’à sa vue, son moral remonta quelque peu. Pourquoi penser à sa sœur perdue alors qu’il avait rencontré Nelly ? Il se souvenait bien évidemment les circonstances de leur rencontre, plutôt inhabituelles, mais c’est ce qui avait permis de tisser des liens aussi forts. Nelly’ était sa deuxième Cathleen, sa sœur de substitut. Un soir, il l’avait trouvée agressée par un voleur, et à sa vue, ce dernier s’était enfui. En gros, on pouvait dire que Maithias l’avait sauvée, et il en était plutôt fier.

Enfin.. Cela faisait presque une semaine qu’ils ne s’étaient plus vus, et contempler son sourire étincelant en cette fin de journée lui mit du baume au cœur. Ils vinrent à la rencontre l’un de l’autre, et la frêle Nelly le prit dans ses bras. Il lui sourit tristement, encore accablé par le vide qu’avait occasionné le départ de Cathleen, mais néanmoins debout. Elle fronça doucement ses sourcils quand elle nota sa mine grave, et l’interrogea sur sa condition. Elle avait toujours su le comprendre et sentir quand il n’allait pas bien, et malgré la nuit approchante, ce talent ne lui avait fait défaut. Maithias ne lui mentirait pas, car ils avaient l’habitude de toujours tout ce dire. Et ce depuis qu’elle lui avait avoué pour son frère. D’ordinaire, Maithias n’était pas un homme confiant, mais puisqu’elle avait placé la sienne en lui, il avait fait de même.

« Tu sais, ma Nelly’, je repense toujours à elle. J’aimerais tant la retrouver, qu’elle soit de nouveau à la maison, rien que pour un repas. Mais je sais que ce n’est pas pour tout de suite… Que ça n’arrivera peut-être jamais… »

Nelly comme lui étaient membre des C4. C’était lui qui l’avaient conseillé auprès des dirigeants lorsqu’il avait appris pour la mort de son fraternel, jugeant que sa haine pour les possibles meurtriers – le Trèfle Rouge - était assez puissante pour l’amener à accomplir des actes dangereusement meurtriers. Il la regarda franchement, et vit qu’elle ne semblait pas allez au plus fort non plus. De ce fait, il lui retourna sa question. Il s’inquiétait pour elle. A qui pouvait-elle parler, sinon lui ? Nelly’ avait choisi de garder secrets son vécu, et ainsi était-il le seul à savoir. Il la serra un peu plus dans ses bras pour la réconforter et la réchauffer. La température n’était pas des plus chaudes dans les soirées irlandaises …